J’ai le plaisir de vous présenter le nouvel article de Thierry Lefebvre. Thierry incarne un peu la vision que l’on peut avoir de « l’homme sage » ! Son parcours professionnel — officier pour la Défense — lui a apporté des qualités humaines que nous aimerions bien rencontrer plus souvent.
Après « N’ayez pas peur, réfléchissez pas-à-pas », Thierry nous propose un nouvel article — étonnant ! — sur la reconversion professionnelle.
 

 « … et quand l’ordi mouline, il plante, comme vous. »

Il est un cercle vicieux ! Vous envisagez de vous reconvertir professionnellement et vous ne savez pas comment vous y prendre ? Et plus vous cherchez comment faire et par où passer, moins vous trouvez de solution et d’issue. Rien d’étonnant à cette prise de tête, car s’il est bien une question qui tourmente l’esprit, c’est « comment se reconvertir, comment s’en sortir ? ».

Halte aux céphalées. Restez calme ! Face aux multiples interrogations sans fin que la reconversion génère, il est possible de ne pas finir migraineux chronique. Cette méthode pour « bien penser » consiste à « penser rien ».

Certes, je sais le « zéro pensée » est un luxe réservé à quelques initiés. A défaut de satori, moi, je vous propose un avant-goût de l’éveil. Cette parcelle de clairvoyance, tous nous pouvons l’acquérir, si nous prenons le soin d’oublier l’inutile qui tourne en rond, de rejeter le futile qui se répète, de repousser le superflu qu’on ratiocine. En fait, au lieu de l’oiseux, je vous offre un oiseau.

Mon propos tient précisément en une formule : « L’oiseau qui pense tombe ». Autrement dit « trop réfléchir plombe les ailes de la réflexion »… Il s’agit donc de faire le vide en vous-même. « Mais le vide n’est pas rien. C’est l’espace de l’éclosion. Surgit alors l’intuition, l’idée qui est décision »[1].

Décision qui est envol vers l’ailleurs…

LA RECONVERSATION EST PROBLEMATIQUE

Partons de la reconversion, comment la qualifier sinon de problématique. De fait, la reconversion engendre beaucoup de difficultés. Elle génère une pluralité de discussions. Elle provoque une variété de décisions à prendre. Et vient toujours un moment où nous ne savons plus que faire ni que penser. Cette période plus ou moins longue ajoute à la confusion de la transition professionnelle un malaise personnel. La panique nous gagne et nous perdons en lucidité.

Face à cet enchevêtrement d’idées, nous sommes incapables de logique. En ce cas, puisqu’il est vain d’espérer de la cohérence, autant chercher un autre dénouement. Une solution germe justement en nous, mais perdus et aveuglés, nous n’y sommes pas attentifs. Pourtant, si notre cerveau plante, comme bogue un ordinateur, c’est parce qu’il y a une « erreur système ». Cette indication devrait mettre la puce à l’oreille, non exciter davantage nos méninges.

IL FAUT SAVOIR DÉBRANCHER PARFOIS

En cas d’alerte dans les neurones, la solution est de « débrancher » comme on le dirait pour de l’informatique. Cette déconnexion synaptique permet trois sauvegardes : arrêter les réflexions aggravant le problème au lieu de le résoudre ; ensuite penser à autre chose pour ne plus penser ; enfin attendre « l’enchantement ». Patienter car là également vient toujours un moment où l’issue apparaît sans besoin de la chercher.

Certes, inciter à ne pas réfléchir tandis qu’on se situe dans l’embarras est inhabituel. Depuis l’enfance, nous sommes éduqués à affronter la réalité en face. Il est rare de préconiser la contourner ou d’abandonner au pied du mur. Le conseil est souvent d’appliquer une méthode de raisonnement, de mettre en place des hypothèses de travail, de se creuser la cervelle. Cependant, l’expérience clinique des pensées humaines démontre un processus mental infécond.

La pensée devient inopérante dès lors qu’elle rumine le passé ou qu’elle tourne en boucle. Ainsi, dans le cadre d’une reconversion, ce qui stérilise le discernement, c’est ressasser son parcours (« J’ai eu tel grade, j’ai commandé telle unité… j’ai fait tels opex »), c’est remâcher le passé (« A l’armée nous faisions ci, à la Défense on disait ça… ») c’est répéter ce qui n’est plus et n’a pu à être. Aussi nobles soient ces remémorations, elles sont infructueuses dès lors qu’elles ne produisent aucun projet. Elles sont vaines dès lors que nous n’en faisons rien de transférables. Elles sont inutiles si vous ne bâtissez pas dessus. Je ne dis pas qu’il ne faille pas évoquer le vécu militaire ; nous avons mille et une raisons d’en être fiers. Je dis qu’il doit servir à non pas nous figer dans un « C’était mieux avant quand j’étais engagé », mais à nous propulser dans un « Il y a pas de raison pour que ça ne soit pas aussi bien et je m’y engage. » Oui, qui n’arrive plus à penser, se souvient !

COMMENT ARRÊTER DE PENSER

Seulement arrêter de penser, la belle affaire ! Comment procéder ? Facile. La première condition est de se rendre compte qu’on rabâche. Il faut ensuite vouloir endiguer ce mouvement perpétuel, spirale de l’échec de tout dessein pratique. Pour suspendre les réflexions sclérosantes, il suffit de penser à autre chose sans rapport avec les préoccupations récurrentes. Ce peut être rêver d’un voyage prochain, d’un séjour à la campagne l’été dernier, d’une rencontre à organiser, etc. Le but est que des sensations agréables éloignent de la réalité. Ce songe sans ancrage ni limites conduit à n’être plus là, mais « ailleurs ». Pour peu que soit relaxant l’endroit d’où vous vous évadez, votre décollage n’en sera que plus rapide. Néanmoins, loin de vous endormir, vous devez garder vos sens en alerte.

Le secret de ce break salutaire est dans ce lâcher prise conscient qui consiste à « ne rien faire ». Ne rien faire, c’est « ne rien faire de particulier ». En effet, puisque ne pas penser du tout est irréalisable[2], tout ce que vous avez à faire est de faire « rien », c’est-à-dire de ne vous bloquer sur aucune pensée, de ne stopper aucune idée, de ne vous fermer à aucun sentiment, de vous relâcher pour toute émotion. Ce « ne rien faire » se transforme en un « laisser se faire ». En vous laissant faire, vous approchez l’état de réceptivité parfaite. En vous accordant du temps, vous vous raccordez à vous-même. Se couper des autres, c’est s’occuper de soi. Un temps…

S’OUVRIR A D’AUTRES POSSIBLES

Disposé à n’importe quoi, vous êtes fin prêt à toute éventualité. Le champ infini des possibles et des réels s’ouvre à vous. Vous accédez à des ressources cachées. Il n’y a plus des pensées qui vous encombrent, mais des pensées « inimaginables » avant qui défilent à l’envi librement. Et si jamais vous avez un embarras, c’est maintenant celui du choix. Justement parce que vous ne vouliez rien, que vous ne privilégiez nulle piste, que vous n’optiez pour aucune conjecture, que vous n’émettiez point de jugement de valeur que ce qui vous arrive est de la clairvoyance, cette capacité de décider à escient.

Pour désigner ce qui s’opère, on peut aussi parler d’intuition, c’est-à-dire de ce qui rassemble en un l’objectif et les moyens sans les rationaliser. Votre projet redevient plus évident, vous le voyez sous un angle original, vous le concevez différemment. Bien sûr, la distance est encore longue entre intention et action, entre imaginer et entreprendre. Mais le ciel des idées s’est débarrassé des lourds nuages, il apparaît plus bleu, l’horizon dégagé ; l’oiseau peut voler à son aise, confiant dans les courants ascendants. Autrement dit, au lieu de vous torturer la tête, vous l’avez mise en mode « pause ». Avec plus d’expérience vous parviendrez à « défragmenter » votre matière grise, voire à lancer un « reset » sur propre disque dur… comme pour un ordinateur vous dis-je !

En conclusion, il existe deux sortes de pensées. Les pensées stériles qui ne font pas progresser, qui remplissent le crâne jusqu’à le fatiguer, qui reviennent sans cesse sur des circonstances anciennes. Et les pensées nouvelles, porteuses de projets, messagères d’avenir, multiplicatrices d’intentions. Il faut privilégier les secondes ; elles seules transforment le passé en futur.

La reconversion causant, vu sa complexité, des tracas infinis, une recommandation profitable consiste à savoir -parfois- « penser à autre chose » afin de « décontracter le bulbe ». Ce n’est pas du temps perdu, c’est un placement d’avenir. Pauser, c’est se poser pour mieux réfléchir, mieux réfléchir donne de meilleures idées. En prenant des chemins de traverse, l’esprit retrouve la voie de résolution des obstacles. N’est-ce pas souvent en ne cherchant pas qu’on trouve ? Essayez par conséquent d’interrompre vos contrariétés actuelles. Je parie que la réponse aux deux interrogations fondamentales : « Qu’est-ce que je peux faire de ce que j’ai fait autrefois + qui puis-je devenir à partir de qui je fus ? » éclora dans votre cerveau oxygéné.

Et le « vertébré tétrapode ailé » du début de l’article dans tout ça ? Ben, imitez-le ! Faites comme l’oiseau qui, pour ne pas chuter, ne se pose nulle question : ni pourquoi et comment il bat des ailes, ni pourquoi et comment il s’abstrait de la gravité, ni pourquoi et comment il voltige… Non, il plane. Simplement. C’est ça… planez-vous aussi. De temps en temps. Prenez de la hauteur, la solution à vos maux vole en altitude.



[1]              Marc Traverson, Le journal du coach

[2]               Sauf pour quelques yogistes en méditation zen.