“Je savais bien que tu n’aimerais pas l’autre“

Ou la double contrainte…

 

Cette histoire a fait le tour du monde: une mère juive offre deux cravates à son fils, pour son anniversaire. Le lendemain, il porte l’une des deux. Sa mère lui dit alors : “Ah, je savais bien que tu n’aimerais pas l’autre ! “

Structure de cette histoire: si le fils porte la cravate A, il aurait dû porter la cravate B. Mais s’il avait choisi de porter la cravate B, il aurait dû porter la cravate A.

Voilà notre jeune homme pris au piège, dans une situation de non-gagnant.
Cette stratégie est bonne si l’on veut  mettre quelqu’un dans l’embarras et avoir ainsi le pouvoir sur lui. Il suffit de créer ce type de conflit.

D’autres, sans le savoir et sous prétexte d’aider un collègue, lui diront : “Soyez naturel“. C’est un comportement qu’il est impossible de mettre en place sur commande. Cette injonction paradoxale amène l’effet inverse.

Ces deux exemples portent le nom de double contrainte. L’anthropologue américain Grégory Bateson (1904-1980) a été le premier à définir cette double contrainte qui engendre bien des conflits internes, comme elle est aussi à l’origine de la créativité. La différence est fonction de ce que la personne fait de ce double lien. Est-elle ou non capable d’identifier et de transcender cette contrainte de manière adéquate ?

Cette double contrainte est générée dans tous les systèmes : entreprises, couples, familles, groupes.

Les doubles contraintes présentent un aspect de circularité et de récurrence produisant des sensations d’impuissance ou de confusion. Elles impliquent ce qui apparaît comme une lutte de pouvoir sur celui qui reçoit une injonction paradoxale, subit ce double lien et se sent en faute ou incompétent. Autrement dit, il est condamné s’il agit et condamné s’il n’agit pas.

Bien que ces doubles contraintes semblent inextricables, il est possible d’en sortir… en y entrant. Ceci n’est pas un paradoxe mais une évidence. Pour sortir de quelque chose, il faut y entrer afin de comprendre, d’identifier et mettre en œuvre les compétences nécessaires en créant des circonstances appropriées génératrices de solutions émergeant du problème lui-même.  La solution est dans le problème.

…Et comment en sortir:
“ Merci maman, tu viens de m’apprendre à être original !“

… dit le fils, avec tendresse et bienveillance, remontant dans sa chambre, pour en redescendre, portant les deux cravates à la fois. Cette attitude paradoxale annule l’effet du paradoxe contraignant. Le fils est entré dans le problème pour en sortir. Cela se termine sur un éclat de rire des deux protagonistes. Rire salvateur pour le fils, rire qui soulage la mère de son attitude castratrice, qu’elle en soit consciente ou non. Dans cette histoire, l’attitude paradoxale du fils provoque un changement de comportement de sa mère. Le piège a été déjoué par un acte créatif, original et dissolvant.

La double contrainte libératoire  ou comment faire, dans le cadre de
l’entreprise, si le client ne peut y entrer seul dans le cadre de situations plus complexes:

Une double contrainte identifiée dévoile les non dits qui en sont à l’origine, pour offrir des voies de résolution.
L’humour et la métaphore, par exemple, sont des moyens et des voies de sorties et il y en a d’autres comme :
La  prescription de comportement : en disant “Faites quelque chose d’inattendu“ et cet acte inhabituel fera que le client ne pourra plus, à l’avenir, réagir comme avant face à la double contrainte dont il était prisonnier. Au consultant d’aider le client, en fonction des matériaux que celui-ci lui apporte.
Les tâches paradoxales: demander au client qui veut changer, de ne rien changer… pour l’aider à changer. Cette stratégie est utilisée en cas de fortes résistances de la part du client. Je cite le célèbre exemple de Milton H Erickson (1901-1980, Psychiatre américain, fondateur de l’American Society for clinical hypnosis) suggérant à un couple, qui se dispute sans cesse, de continuer à se disputer mais dans la salle de bain plutôt dans le salon, lieu habituel de ces altercations stériles. En outre, il propose cette tâche sur un temps très long, et donne même des créneaux horaires précis de dispute. Voilà une stratégie tout à fait adaptable au monde de l’entreprise.
La technique du “Faites comme si…“: c’est le “juste pour voir“ cette technique n’induit aucun risque mais, ne s’opposant pas à la réalité du client, elle l’encourage à se représenter mentalement (et à déposer dans son inconscient) une réalité différente qui apporte des changements intellectuels et psycho-émotionnels.
La prescription du symptôme : inciter le client à accentuer volontairement des réactions ou des symptômes qu’il produit spontanément  ou inconsciemment. A s’efforcer de déclencher ce qui ne peut  se produire que spontanément, il rend impossible ses réactions. Cela nous rappelle le “Sois naturel“. C’est de l’ordre du similinum homéopathique, guérir le mal par le mal.
Réactiver ou déplacer le symptôme : Lorsqu’un comportement aura disparu, demander au client de le réactiver à tel moment de la semaine prochaine, par exemple. Il prendra ainsi conscience du contrôle qu’il aura mis en place. Une éventuelle rechute sera ainsi anticipée et amenuisée.
Déplacer le comportement dans le temps, indique au client qu’il se sert de sa volonté pour agir sur lui.
Le fantasme du pire : stratégie utilisée pour aborder un problème très angoissant sans que le client s’en rende compte. Ne pas lui demander de parler de ses craintes effectives mais d’imaginer les conséquences les plus invraisemblables, les plus catastrophiques auxquelles son problème pourrait le conduire. Le client n’étant pas soumis aux servitudes de la réalité, de la raison et surtout de la vraisemblance, il ressent plus de facilité à exprimer ce qui pourrait se produire vraiment.
Le “si…“: “Si votre chef de service n’était pas là, je dirais que…“. C’est dire quelque chose tout en prétendant ne pas le dire. L’hémisphère droit du cerveau qui ne connaît pas la négation, reconnaît l’assertion. (Freud a remarqué, en son temps, cette “curiosité“ de l’hémisphère droit, depuis c’est une certitude scientifique).
Pratique de la confusion : pour les clients “cerveau gauche“, qui ont une forte tendance à l’analyse et à l’intellectualisation. Le but est de créer une confusion provoquant un télescopage dans ce cerveau gauche afin de laisser émerger, de l’autre hémisphère, des solutions créatives.
Voici deux citations d’Erickson visant à créer la confusion: “ Etes vous sûr de ne pas être sûr de ce que vous me dites ?“ Ou encore “Il y a quelque chose que vous savez, mais sans savoir que vous savez… Quand vous saurez ce que vous savez ne pas savoir, alors vous aurez peut-être la clé de l’issue qui… vous… manque.“
C’est en analysant une situation dans une perspective systémique, et en déduisant le mode d’intervention le plus approprié pour qu’il soit efficace, que doit agir le consultant.

Ces techniques, dont l’adroite utilisation permet la mise  en évidence des ressources et du changement, peuvent être assimilées à des recadrages destinés à la prise de conscience, par le client, de conceptions erronées et portant préjudice. Ces stratégies n’ont, en fait, d’autre avantage que de permettre d’atteindre directement  l’hémisphère droit du cerveau, et de le renforcer par rapport à l’hémisphère gauche dont la prépondérance sur le droit n’est plus à démonter et dont la fonction logique, qui nous est également nécessaire, utilise trop souvent son droit de censure. Par ces techniques, ce droit de censure se trouve ainsi paralysé.

Atteindre l’hémisphère droit, c’est donner au client le pouvoir d’aborder une situation anxiogène de façon différente, de faire preuve de créativité pour trouver des solutions. C’est offrir au client la possibilité de provoquer un changement réel en lui,  et par conséquent dans sa situation, ses relations, son entourage.