Envoi de lettres cachetées à la cire garantissant le seau du secret et portées par un destrier (lequel est toujours fidèle), petits mots pliés en quatre et transmis par l’intermédiaire d’une duègne bienveillante à un chevalier prétendant aux meilleures intentions à l’endroit d’une demoiselle de la plus respectable lignée ; ou dans le sens inverse, billet enflammé porté par une demoiselle se mourant d’amour qui menace de boire la siguë si l’éphèbe (jeune, toujours) qui lui aura ravi son cœur ne répond pas avant l’aube, à l’heure où blanchit la campagne. Du papier, toujours du papier.

La technique des sentiments

Excepté pour avertir de l’arrivée des indiens grâce à des signaux de fumée, organiser la chasse à l’aide de dessins rupestres ou scripter la vie de la cité en gravant des hiéroglyphes sur des pierres, la communication d’un message s’est principalement faite par voie écrite et sur feuille plus ou moins blanche. Gravé sur papyrus, mis sous enveloppe, plié au format télégramme (et immortalisé avec un humour féroce par deux amants célèbres : Montand-Signoret) ou écrits au stylo à bille, les mots d’amour ont pour leur part trouvé la voie de l’éternité couchés sur du celluloïd. Ça, c’est pour la technique.

Quant à l’espace de rencontre, autres époques mêmes situations : que ce soit à la cour pour les plus argentés, les mieux placés ou les sous-fifres laborieux, à l’occasion d’un banquet populaire, à un bal ou dans les cuisines pour les classes de basse extraction, les lieux de rencontre déclencheurs de marivaudage n’étaient pas moins qu’aujourd’hui des endroits où avant toute idée de lutiner, on travaillait.

Le bon côté du labeur

Le labeur nécessitant solidarité, les travailleurs ont par la force des choses cherché réconfort dans leur peine… et l’ont souvent trouvé, laissant à leur patron la crainte d’un manque d’assiduité dans l’accomplissement de la tâche.

Et c’est bien là le hic.

Avant que n’apparaisse l’informatique, puis plus tard les outils mobiles, les salariés n’avaient pour possibilité de batifolage pendant leurs heures de présence que celles permises… une fois sortis de leur lieux de travail ou dérobées à leur employeur. Pas de loisir au travail, pas de divertissement, on n’était pas là pour ça puisqu’il était inconcevable de penser temps de travail sans productivité. Chaque minute comptait à l’avantage du profit. C’est bien différent aujourd’hui.

Ford a rangé ses boulons

Les amoureux en entreprises d’aujourd’hui profitent de la disponibilité des outils à leur disposition pour entretenir leur relation. Une crainte de perte de profit pour l’employeur ? Contrairement aux idées reçues, il apparaît que non. C’est ce que rapporte Stefana Broadbent, chercheuse en sciences cognitives et professeur d’anthropologie numérique, qui a enquêté pendant quinze ans sur l’emploi des technologies de communication au travail et livre ses conclusions dans un essai, L’Intimité au travail.

La disparition des cadences, des rythmes et des gestes assurant le rendement d’une entreprise a fait voler en éclats la définition de la productivité… et, paradoxalement, de plus en plus dans l’intérêt de l’entreprise. Aujourd’hui, la limite entre travail et vie privée se confond en permanence, les outils rendent chacun disponible soir et week-end, en revanche on fait régulièrement des pauses pour consulter ses mails perso, ce qui permet une aération nécessaire de l’esprit. Certains s’accordent un moment de détente sur les réseaux sociaux comme d’autres un café au distributeur automatique. Le modèle fordien a pris un coup dans l’aile. Et les humains s’en réjouissent.