Il existe encore des commerces qui se transmettent de générations en génération, par exemple un beau restaurant, bien situé dans une petite ville du centre de la France… ouvert depuis 3 générations, créé en 1875 par l’arrière grand-père de Paul…Les enfants de Paul ont un autre projet, la lignée familiale des restaurateurs va s’éteindre. Alors Paul et son épouse décident de vendre leur commerce pour une retraite méritée après une vie bien remplie.

De manière inattendue, l’ouvrier cuisinier fait une proposition d’achat. Parmi les 4 candidats à la reprise, c’est lui que Paul choisit. C’est un excellent ouvrier, il a rendu plein de services, les 2 familles se connaissent depuis longtemps… Difficile pour Paul de faire un autre choix. Et pourtant, oui et pourtant… des indices auraient pu alerter… Le comptable ainsi que la banque ne font pas confiance à Eric. Il va en 2 ans amener l’entreprise en faillite.

Quelles compétences ?

Passer d’ouvrier à patron demande une réelle évolution de ses compétences, un regard neuf. Rapidement, Eric et sa femme perdent une partie de la clientèle d’habitués par manque de disponibilité, un relationnel épouvantable, une qualité d’hygiène et de propreté dégradée…Travailler en couple demande un partage des responsabilités et un équilibre dans le dispatching des tâches. Le domaine de Paul était la cuisine, celui de son épouse le service au client, Eric laisse sa femme interférer et donner des ordres en cuisine et lui vient de temps en temps servir au restaurant…

Diriger une nouvelle entreprise, c’est aussi savoir gérer les évolutions, ils changent trop vite la carte, ce qui fait fuir les habitués et n’attire pas de nouvelle clientèle. Une des compétences que n’a pas su acquérir ce couple, c’est la capacité de se remettre en question lorsque les premiers signes apparaissent, ils n’ont pas l’intelligence de se questionner sur leur façon de faire inadaptée, ils n’écoutent pas les conseils qui leur sont donnés, ils changent même de comptable quand celui-ci les alerte. Ils font l’autruche plutôt que de faire évoluer leur fonctionnement et d’accepter les aides proposées. Quel gâchis !

Conflit de loyauté-trahison

Paul et son épouse se sentent responsables de ce gâchis, responsables d’avoir fait le mauvais choix, responsables de n’avoir pas mesuré l’incompétence du couple de repreneurs, responsables d’avoir trahi leurs clients.Ils vivent douloureusement cette épreuve comme s’ils n’avaient pas été loyals à leurs ancêtres qui leur ont transmis un si bel outil, comme si par un choix affectif plus que professionnel, ils avaient trahi la confiance de plusieurs générations, comme si une valeur si chère à leur famille qui est la qualité de travail avait été bafouée. C’est pour eux très difficile d’accepter la destruction du fruit de plusieurs générations de travail.

Comment expliquer cette erreur de jugement ? La motivation profonde de Paul et de son épouse, arrivés au terme de leur vie professionnelle, est sans conteste de perpétuer la lignée familiale. Ils se sentent redevables à leurs ancêtres d’avoir reçu un beau patrimoine qui a apporté la renommée, l’honneur et la reconnaissance sur la famille. L’important, c’est de transmettre à « un fils » génétique ou «symbolique » l’entreprise afin d’être loyal à la famille. Le choix ne pouvait être qu’affectif, ils en ont oublié de vérifier la compétence du repreneur. Faire un choix suppose une exploration des motivations profondes. Un choix inadéquat du point de vue de la simple logique peut être fait avec une totale conviction.

On voit alors comment le poids de la transmission héréditaire ou du code de valeurs d’une entreprise peut pénaliser la compétence, la nécessité de performance ou le projet lui-même.